LAFONT Robert

Robert Auguste César Lafont naquit à Nîmes le 16 mars 1923 et décéda à Florence, en Italie, le 24 juin 2009. Il était linguiste, historien de la littérature occitane, historien médiéviste, poète, dramaturge occitan et romancier. Professeur d’université, théoricien politique, il a popularisé le concept de « colonialisme intérieur ». Résistant, homme de gauche, militant syndicaliste, membre de l’Institut d’Estudis Occitans, il fut un animateur des luttes sociales occitanes des années 1962 à 1981. Dans les dernières décennies de sa vie, il a milité pour un fédéralisme européen et pour un combat altermondialiste.


Sa famille, de religion protestante, était originaire de la plaine de la Vaunage dans le Gard, du côté de la mère, Alice Virginie Noguier, née le 22 octobre 1902, mais lui-même se définissait comme « laïque et areligieux ». Enfant, ses parents ayant divorcé, il fut gardé par ses grands-parents occitanophones de Calvisson, dans le Gard. En 1936, son père Raymond Émile, né le 2 février 1902, fonctionnaire des Finances, fut muté à Lons-le-Saunier (Jura) et Robert, dans l’exil, retrouva l’occitan. En 1940, l’année de son baccalauréat, comme beaucoup d’occitanistes, il devint maréchaliste « quelques semaines ». De 1940 à 1943, il fut étudiant en lettres classiques à Montpellier. De juillet 1943 à mai 1944, il a été requis aux chantiers de jeunesse à Mauriac (Cantal) et Lescar (Basses-Pyrénées). Il s’enfuit et rejoignit un groupe de résistants dans les Cévennes. En août, il participa à la libération de Nîmes. Il obtint un poste au cabinet du préfet du Gard pendant quelques mois. En 1945, il fut mobilisé dans les Forces françaises d’occupation en Allemagne. Le 3 décembre 1945, il se maria avec Andrée-Paule-Louise Chauchard, professeure de français et originaire d’Anduze (Gard). Ils eurent deux enfants, Suzanne et Michel. Ils divorcèrent le 16 juin 1983. Il se remaria le 10 avril 1985 avec Fausta Garavini, une romaniste italienne née le 15 janvier 1938 à Bologne (Italie), avec qui il vécut en partie à Florence à partir de 1985.
Il milita au félibrige à Nîmes en 1941 et 1942, avant de fonder en 1942 le mouvement « Joventuts occitanas ». À la Libération, il rejoignit le nouvel Institut d’Estudis Occitans créé le 22 février 1945. Le mouvement occitaniste était alors proche du PCF, la culture occitane étant analysée comme un élément de la culture française. Les idées fédéralistes du journal de Charles Camproux, Occitània, et celles de Mistral, ne furent pas reniées et se retrouvèrent dans le journal l’Ase negre fondé en août 1946 par Robert Lafont. Très vite, ce dernier prit ses distances avec ce fédéralisme proudhonien qui n’envisageait pas de détruire le capitalisme.
Reçu à l’agrégation de lettres classiques, R. Lafont exerça en 1949 à Bédarieux, à Sète, puis à Arles et ensuite au lycée de Nîmes où il enseigna jusqu’en 1964 et adhèra à la section SNES. Dès 1951, il rejoignit C. Camproux à l’Université de Montpellier pour enseigner l’occitan et il obtint un poste à temps complet en 1964. Sa thèse, La Phrase occitane, a été publiée en 1967. En 1972, il fut titulaire de la chaire Langue et Littérature occitane à l’université Paul Valéry-Montpellier III de Montpellier. Sa thèse complementaire portait sur le barroque occitan. Il prit sa retraite en 1988. De 1964 à 1988, il fut syndiqué au SNESup. En 1950, Robert Lafont prit la direction de l’IEO. Il en fut le secrétaire général jusqu’en 1959, puis en devint le président jusqu’en 1962. Lafont fit pression pour obtenir la loi Deixonne votée le 11 janvier 1951, la première loi pour l’enseignement des langues minoritaires. Il contribua ensuite à son application. En 1960, il collabora à la création du Conseil national des langues et cultures régionales.

À l’IEO, Lafont a situé la rupture entre les « culturalistes » proches des communistes et les « politiques » à la fin 1954. Dès janvier 1954, dans les Annales de l’IEO, il proposa aux militants de se pencher sur la question économique et le développement régional. Il rejeta aussi le nationalisme de François Fontan, créateur du Parti Nationaliste Occitan. Il se situa politiquement à gauche : « On était bien d’accord politiquement : de gauche et prenant le gaullisme pour cible. » Dès le début, il s’opposa à de Gaulle. Il se voulut anticolonialiste et antijacobin. Petit-fils d’un pied-noir, il avouait ses « sympathies pour la Révolution algérienne ». Comme l’avait fait les régionalistes bretons dès 1950 avec le CELIB (Centre d’étude et de liaison des intérêts bretons), l’IEO évolua vers une prise en charge des combats économiques à la suite des grèves des mineurs de Decazeville-La Sala (décembre 1961-février 1962). Serge Mallet dans l’hebdomadaire France Observateur du 11 janvier 1962, parla de « la révolte des colonisés de l’intérieur » et de la nécessité de « s’attaquer au centralisme politique » parallèlement à la décentralisation économique. R. Lafont fut à la fois « pour l’autonomie régionale et pour l’abolition du systême capitaliste ». À la suite de la grève, fut créé, le 4 février 1962 à Narbonne, le Comité occitan d’études et d’action (COEA). Sa visée était « socialiste révolutionnaire ». Le COEA s’intègra dans la rénovation de la gauche française et établit des contacts avec les militants bretons et corses. En avril 1964, il participa à la fondation de la Convention des institutions républicaines avec Hernu, un ancien du PSU et Mitterrand. R. Lafont considéra cela comme une victoire : « Nous venions de faire inscrire le colonialisme intérieur dans la motion finale et de faire adopter la décentralisation de l'État par la gauche. » La revue Viure du COEA, fondée en 1962 par Lafont, fut « un foyer important de réflexion ». Les livres de R. Lafont sur la régionalisation (La Révolution régionaliste de 1967, L’Autonomie, de la Région à l'Autogestion de 1976, Sur la France, 1968, Décoloniser en France, 1971 et La Revendication Occitane, 1974) furent lus et appréciés par les dirigeants socialistes, Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Gaston Defferre ou François Mitterrand. Mais R. Lafont était sans illusion : « Je m’adresse aussi aux socialistes. Je partage avec eux des analyses et des actes. Mais notre dialogue souvent est difficile. » Il se méfiait d’une prise de pouvoir socialiste sans conscience régionaliste : « Un pouvoir socialiste installé directement à Paris [...] trouverait à son service l’admirable outil de domination de l’État centralisé autoritaire. »

Après 1968, Viure fut le lieu d’expression de la radicalisation du mouvement occitan. Robert Lafont essaya de peser sur les forces de gauche et « le Programme commun ». Dès 1968, les Comités d’Action Occitane débordèrent le COEA qui fut dissout en 1971 et laissa la place à Lutte Occitane. Aux intellectuels occitanistes se joignirent des syndicalistes agricoles des Comités d’Action viticole et des Paysans travailleurs. C’était un mouvement pan-occitan avec plusieurs centaines de militants et un journal Lutte Occitane. Lafont rejoignit dès 1971 le combat des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire, participant aux manifestations de 1973 et 1974. En 1981, il soutint les mineurs du Gard contre la fermeture du puits de Ladrecht. Dès 1976, il joua un rôle essentiel dans la lutte des viticulteurs languedociens rejointe par les syndicats ouvriers et enseignants. En 1978, il anima les états généraux du peuple pour « Vivre, travailler et décider au pays ». Il fut un des initiateurs avec Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé du manifeste du 27 octobre 1978, « Mon Pais escorjat », manifeste soutenu par le PCF et la CGT. Cette action politique semblait lui peser. Robert Lafont écrivit à Nelli en 1972 : « Je ne suis ni Lénine, ni Ferhat Abbas, ni Boumediene ; je me retrouve en mon lieu de toujours : écrivain d’oc. » Il rompit avec les Yves et Jean Rouquette : « Mai 1968 les avait enflammés. C’étaient des nationalistes exaltés [...]. Ils étaient devenus tiers-mondistes et ne pouvaient souffrir l’adjectif "intérieur" mis à colonialisme. » En décembre 1974, dans un échange de courrier avec Nelli, il revint sur les attentats occitanistes qu’il réprouvait.
En 1974, la candidature de Robert Lafont à la présidence de la République fut rejetée par le Conseil constitutionnel. Robert Lafont appela à voter pour François Mitterand, ce qu’une partie des occitanistes apprécièrent peu. Lafont fut marginalisé dans les mouvements qu’il avait contribué à créer : mis en minorité en 1980 au Congrès d’Aurillac, il quitta l’IEO l’année suivante. Les comités « Volem Viure al País », soutiens de sa candidature, se transformèrent en mouvement que Robert Lafont qualifia de « national-populiste ». Par contre il salua la création du « Partit Occitan » en 1987 par les militants de « Volem viure al país » et de « País Nòstre ». Ce parti auquel il adhèra appartient à la fédération Régions et Peuples solidaires, un des alliés d’Europe Écologie Les Verts. En 1981, il accueillit la victoire de F. Mitterand avec « un souffle d’espérance ». Mais l’espoir dura peu et Robert Lafont rejoignit les déçus de la gauche en juillet 1983 : « Comme certains vrais socialistes de mes amis, j’avais l’impression d’avoir été roulé. » La 95e proposition du candidat sur les langues minoritaires avait été enterrée. Il resta quelques timides avancées. La loi Savary de 1984 consolida l’enseignement des langues régionales et en 1982, Henri Giordan, à la demande du ministère de la culture, rédigea Le Livre blanc des langues de France.
Il resta fédéraliste européen : « Il faut faire l’Europe sur de nouvelles bases. [...] L’Europe des régions et des interrégions. Cela suppose que les États s’étiolent [...]. Que la carte européenne soit enfin vraie. » Depuis l’Eurocongrès des espaces occitans et catalans, ouvert le 26 mai 2001, dans lequel il s’était fortement impliqué, il considérait que l’avenir de l’Occitanie était lié à celui des Pays Catalans. Il fut président de la section occitane du Cercle d’Afrairement Occitano-Catalan de 1981 à 1986. Dans les années 2000, il fonda son espoir sur l’altermondialisme : « [C’est] le pendant-vie de la globalisation-apocalypse, la seule résistance de niveau avec elle. » En 2003, au Larzac, il participa à la création du mouvement « Gardarem la Tèrra », mouvement alter-mondialiste écologique et occitan. Il en rédigea le manifeste.
Universitaire de renom international pour ses travaux de sociolinguistique occitane, il fut un écrivain prolixe : il a publié une centaine de livres, un millier d’articles et fondé de plusieurs revues (Viure, Obradors, Dire, Lengas, Cahiers de praxématique, Amiras/Repères occitans, la Revista occitana). Il fut aussi un penseur et un militant politique de gauche, l’incarnation pendant près d’un demi-siècle du mouvement culturel et politique occitan. Démocrate et humaniste, il rêva d’un futur pour les peuples minorisés. Au-delà de l’Europe, les enjeux étant planétaires, il aspira à une gouvernance démocratique fédérale mondiale contre les égoïsmes des États-Nations.

Prix et décorations : Grand prix des Lettres occitanes en 1951, prix Théodore Aubanel pour son théâtre en 1959, prix international Ossian en 1976, officier des Arts et Lettres, officier des palmes académiques, creu de Sant Jordi de la Generalitat de Catalunya, docteur honoris causa de l’université de Wien.

Quelques œuvres. Poésie : Paraulas au vièlh silenci (IEO, 1946). Dire (IEO, 1957). Cosmographia monspessulanensis (Jorn, 2000). Romans : Vida de Joan Larsinhac, (IEO, 1951, rééd. 1979). L'Icòna dins l'Iscla (IEO, 1971, rééd.1979). La Festa (Fédérop, 1983-86), formé de Lo Cavalier de Març, Lo Libre de Joan et Finisegle. Théâtre : Lo Pescar de la Sépia (IEO, 1958). La Loba (Aubanel, 1959). Teatre claus (IEO, 1969). Essais en occitan : Temps tres (Ed. Trabucaire, 1991). Petita istòria europèa d'Occitània (Trabucaire, 2003). Essais en français : La Révolution régionaliste (Gallimard, 1967). Sur la France (Gallimard, 1968). Décoloniser en France (Gallimard, 1971). Nous, Peuple Européen (Éd. Kimé, 1991). La Nation, l'État, les Régions (Berg international, 1993). L'État et la langue. Europe/Antiquité, XVIIe siècle siècle (Éd. Sulliver, 2008). Travaux universitaires : Mistral ou l'illusion, (Plon, 1954 ; rééd. Vent Terral, 1980). Trobar, soixante chansons des troubadours, (Montpellier, C.E.O., 1972). Anthologie des Baroques occitans, (Aubanel, 1974). La Phrase occitane. Essai d'analyse systématique, (Paris, P.U.F., 1967). Quarante ans de sociolinguistique à la périphérie, (l'Harmattan, 1997). L'Être de langage, (Limoges, Lambert-Lucas, 2004).

Sources : - Archives Départementales de l’Aude (ADA). Fonds René Nelli. 10 JJ 21 : correspondance de Robert Lafont à René Nelli. - Archives de la ville de Nîmes. Registre d’état civil : acte de naissance de R. Lafont. - CIRDOC. Fonds R. Lafont (extrait des registres des Actes de l’État civil de la ville de Nîmes et acte du second mariage, mairie de Montpellier) et biographie de Lafont. - Terra d’Oc, n° 40, avril 1943 et n° 65-66, mai-juin 1945. « Actes occitanistas ». - L’Ase negre, n° 1, agost de 1946 et n° 5, desembre de 1946. - Témoignages de Felip Martel et Raymond Huard (6/6/2011). - Bulletin d’information du COEA, 1er décembre 1963. - CLERC, Pierre, Dictionnaire de biographie héraultaise, tome 2, Montpellier, Nouvelle presse du Languedoc, 2006, notice sur Robert Lafont. - MARTEL, Philippe, « Robert Lafont militant : ses premiers textes programmatiques », Annales de littérature occitane n° 8, Robert Lafont, le roman de la langue, Actes du colloque de Nîmes (12-13 mai 2000), d’Arles (14 mai 2000), CELO, Toulouse, 2005. - ESCAFIT, Joan-Lois, « Robèrt Lafont : una cara bèla, occitana e europenca, del sègle XXen », (www.eoe-oc.org). - PUIG I MORENO, Gentil, « Homenatge al nostre mestre Robert Lafont. La seva contribució a la sociolingüística », Lenga e país d'Oc, CRDP Montpellier, n° 50-51 (à paraître). - MICHEL, H., MIRKINE-GUETZEVITCH, B., Les Idées politiques et sociales de la Résistance, Paris, 1954. - Les Temps modernes, Minorités nationales en France, août-septembre 1973, n° 324-325-326. BAZALGUES, Gaston, « les organisations occitanes », pp. 140-162. - ALCOUFFE, Alain, LAGARDE, Pierre, LAFONT, Robert, Pour l’Occitanie, Toulouse, Privat, 1979. - ARMENGAUD, André, LAFONT, Robert, (dir.) Histoire d’Occitanie, Paris, Hachette-IEO, 1979. DELPLA, Claude, « L’évolution politique », pp. 851-882. – Œuvres de Robert Lafont : Lettre ouverte aux Français d’un Occitan, Paris, Albin Michel, 1973 ; La Revendication occitane, Paris, Flammarion, 1974 ; Vingt lettres sur l’histoire, à ces cons de Français et ces couillons d’Occitans, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2005.

Miquèl RUQUET